Avec Marissa Mayer, Yahoo! change une fois encore de directeur général et de stratégie

Avec trois directeurs généraux en moins d’un an, Yahoo! a aujourd’hui besoin d’une stratégie d’entre- prise claire. Alors que Ross Levinsohn, le directeur général par intérim après le renvoi pour CV truqué de Scott Thomson, a su régler le conflit avec Facebook, transformé en partenariat, et entreprendre la cession de la participation de Yahoo! dans Alibaba ; Marissa Mayer, débauchée de Google, devra de son côté retenir les internautes sur les sites du groupe.

Le renvoi subit du directeur général de Yahoo!, Carole Bartz, par le conseil d’administration du groupe en septembre 2011 (voir REM n°20, p.48), suivi de la nomination en janvier 2012 de l’ancien patron de PayPal, Scott Thomson, renvoyé en mai 2012 pour CV truqué (voir REM n°22-23 p.51), a sans aucun doute fragilisé le groupe internet qui, pénalisé par ses résultats, pourrait bien l’être aussi par son conseil d’administration. C’est ce qui explique sans doute pourquoi le conseil d’administration de Yahoo! a préféré recruter Marissa Mayer comme nouveau directeur général du groupe, ce qui lui a permis d’afficher le débauchage médiatique d’une des principales dirigeantes de Google, plutôt que de conserver dans ses fonctions l’efficace Ross Levinsohn, le directeur mondial des activités médias de Yahoo!, qui avait pris la direction générale par intérim.

En effet, après avoir remplacé en urgence Scott Thomson après son départ précipité le 13 mai 2012, Ross Levinsohn a, en deux mois, réglé deux des plus importants dossiers du groupe, à savoir les relations avec le géant chinois Alibaba et le conflit avec Facebook sur le vol de brevets.

Yahoo!, qui depuis 2005 contrôle 40 % du groupe chinois Alibaba, leader dans son pays pour le commerce en ligne, se trouvait depuis l’arrivée de Carole Bartz dans une situation délicate. La participation de Yahoo! dans Alibaba constituait le véritable levier de croissance du groupe ces dernières années, mais son PDG, Jack Ma, ne souhaitait plus dépendre du groupe américain qui, avec ses 40 % dans Alibaba, comptait deux sièges sur quatre dans le conseil d’administration du groupe chinois. En quittant le conseil d’administration d’Alibaba en janvier 2012, Jerry Yang, fondateur de Yahoo! et proche de Jack Ma, a probablement encore aggravé les difficultés entre Alibaba et son actionnaire principal. Dans le même temps, les difficultés récurrentes de Yahoo! ont fait que le groupe américain a souhaité vendre ses participations dans les groupes asiatiques, Yahoo! détenant également 35 % de Yahoo! Japan, pour se recentrer sur le marché américain. Un accord aurait donc dû être trouvé avec Alibaba, mais Carole Bartz n’y est pas parvenue et Scott Thomson a préféré mettre fin aux négociations entamées.

En prenant la direction générale par intérim de Yahoo!, Ross Levinsohn a pu rapidement prouver son efficacité en trouvant un accord avec Alibaba dès le 21 mai 2012, soit une semaine après son arrivée à la tête du groupe. Alibaba va racheter 20 % de son capital à Yahoo! pour 7,6 milliards de dollars, Yahoo! s’engageant par ailleurs à céder 10 % supplémentaires du capital d’Alibaba à l’occasion de l’introduction en Bourse de ce dernier, prévue avant 2015. En même temps, Yahoo! rend un siège au conseil d’administration d’Alibaba et y perd toute influence significative. L’opération est rentable parce que la plus-value est gigantesque : Yahoo! avait racheté 40 % du capital d’Alibaba en 2005 pour 1 milliard de dollars et revend la moitié de sa participation sept ans plus tard pour sept fois le montant de sa mise initiale. Dès lors, les taxes importantes évoquées par Scott Thomson pour s’opposer à une cession en numéraire s’évanouissent : même importantes, ces taxes ne devraient pas empêcher Yahoo! de récupérer au moins 4,2 milliards de dollars, la transaction portant sur 6,3 milliards de dollars en numéraire, complétés de 800 millions en actions préférentielles et 550 millions en brevets. Le groupe se retrouve donc dans une situation financière confortable : après des réductions de coût d’un demi-milliard de dollars par Carole Bartz, Yahoo! bénéficie désormais d’un apport en numéraire lui permettant soit de rémunérer ses actionnaires soit d’investir.

Enfin, Ross Levinsohn est parvenu à mettre un terme également au contentieux entre Yahoo! et Facebook. Les deux groupes s’étaient en effet engagés dans une guerre des brevets après la plainte de Yahoo! contre Facebook en mars 2012, suivi d’une plainte de Facebook contre Yahoo! en avril 2012. Or les deux groupes avaient plus intérêt à s’entendre qu’à s’engager dans de coûteux procès.

En effet, Facebook a besoin des contenus des grands portails pour alimenter son réseau social et a besoin d’accords publicitaires pour faire croître son chiffre d’affaires et espérer limiter sa chute en Bourse. De son côté, Yahoo! a besoin d’accéder aux audiences nouvelles du Web que réalisent les sites communautaires. Enfin, Facebook étant partenaire de Microsoft, lequel est partenaire de Yahoo!, chaque alliance servant d’une manière ou d’une autre à contrer Google (voir REM n°22-23, p.55), une alliance entre le portail et le réseau communautaire ne pouvait que présenter des avantages. Il aura donc suffi que Ross Levinsohn contacte Sheryl Sandberg, la directrice opérationnelle de Facebook, pour qu’un accord soit trouvé et mette fin au contentieux.

Le nouvel accord entre Yahoo! et Facebook porte à la fois sur les brevets et sur un partenariat dans la publicité. Annoncé le 6 juillet 2012, l’accord « met fin à toutes les plaintes en cours entre les deux entreprises en relation avec les brevets » et prévoit l’exploitation croisée de plusieurs d’entre eux. Un accord de couplage publicitaire est également conclu entre Yahoo! et Facebook « pour promouvoir.

et distribuer les publicités à la fois sur Yahoo! et sur Facebook ». Yahoo! devrait donc pouvoir mieux diffuser ses contenus dans Facebook et devrait également accueillir des outils communautaires pour faciliter à ses utilisateurs la passerelle vers le réseau social et son milliard de membres.

L’efficacité de Ross Levinsohn en a donc fait un candidat sérieux au poste de directeur général de Yahoo!. Cette probabilité s’est encore renforcée après le retrait de deux candidats potentiels, Jason Kilar, directeur général de Hulu, et Jonathan Miller, chargé des activités numériques de News Corp. et ancien directeur général d’AOL, qui s’est retiré par amitié pour Ross Levinsohn. Mais le conseil d’administration de Yahoo!, qui devait nommer son troisième directeur général en moins d’un an, a préféré adresser un signal fort, quitte à perdre Ross Levinsohn : le 16 juillet 2012, il annonçait avoir débauché Marissa Mayer de Google pour prendre la tête du portail Internet.

Marissa Mayer est, aux Etats-Unis, l’une des grandes figures du Web. Ingénieur, comptant parmi les vingt premiers employés de Google, elle a passé treize années dans l’entreprise et a été à l’origine du design épuré du moteur de recherche, de services comme Google News ou Gmail, autant dire des succès planétaires grâce à une attention très grande portée au service rendu à l’utilisateur. Son profil est donc opposé à celui de Ross Levinsohn, spécialisé médias et contenus, alors que Marissa Mayer est spécialiste des services et de « l’expérience utilisateur », c’est-à-dire les activités dites « produit » chez Yahoo!. Pour la convaincre de rejoindre Yahoo! et de quitter Google, où elle perd ses actions, le conseil d’administration du groupe aura dû être très convaincant : si elle atteint ses objectifs, Marissa Mayer touchera 90 millions de dollars en cinq ans, salaire et actions confondus.

Le choix de Marissa Mayer peut se traduire comme l’expression d’une volonté de relancer le groupe en matière de design et d’ergonomie, donc de rendre les services Yahoo! plus « modernes » pour les utilisateurs, habitués aux offres simples et efficaces de Google ou de Facebook. Tel est bien en effet le problème de Yahoo! : le groupe dispose certes de 700 millions de visiteurs uniques par mois, mais il ne parvient pas à les retenir. Ainsi, lors de la présentation de ses résultats pour le deuxième trimestre 2012, effectuée le jour de l’annonce du recrutement de Marissa Mayer, Yahoo! a annoncé avoir augmenté de 2 % le nombre de ses visiteurs uniques en un an, alors que le nombre de minutes passées sur ses sites de contenus diminuait de 10 %, et que le nombre de requêtes sur Yahoo! Search chutait de 17 %. Les internautes viennent et partent vite, une tendance que devra inverser Marissa Mayer grâce à une « expérience utilisateur » améliorée. Pour y parvenir, des changements stratégiques sont annoncés, Marissa Mayer comptant revenir sur les choix de Scott Thomson et sur ceux de Ross Levinsohn.

Afin de se relancer, Yahoo! a besoin d’investir, ce qui devrait conduire Marissa Mayer à ne pas verser aux actionnaires la totalité des bénéfices retirés de la vente des 20 % du capital d’Alibaba, même si elle a annoncé reverser, dès le 18 septembre 2012, 3 milliards de dollars aux actionnaires du groupe, qui n’auront pas manqué d’exercer des pressions pour être enfin rémunérés pour leur participation dans Yahoo!. Enfin, concernant la stratégie de l’entreprise, la restructuration et les licenciements annoncés par Scott Thomson sont remis en question, l’innovation supposant de retenir ses meilleurs éléments et d’investir dans ses ressources humaines. De même, la réorganisation du groupe en trois grandes entités transversales, B2C, B2B et technologies, est remise en question, la technologie, les relations aux annonceurs (B2B) et les services proposés aux utilisateurs (B2C) devant relever d’une vision intégrée.

Sources :

  • « Alibaba évince Yahoo! de son capital », J.D., Le Figaro, 22 mai 2012.
  • « Réconciliés sur les brevets, Yahoo! et Facebook nouent une alliance », N.S., Les Echos, 9 juillet 2012.
  • « Avec Ross Levinsohn, Yahoo! pourrait avoir trouvé le bon PDG », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 10 juillet 2012.
  • « De lourds chantiers attendent Marissa Mayer chez Yahoo! », Anne Feitz, Les Echos, 18 juillet 2012
  • « La relance de Yahoo! passera par la croissance des revenus publi- citaires », Virginie Robert, Les Echos, 19 juillet 2012/ – « Yahoo! prépare un grand virage stratégique pour redécoller », Marine Lathuillière, latribune.fr, 11 août 2012.
  • « Sous la pression des marchés, Yahoo! soigne ses actionnaires », R.G., Les Echos, 20 septembre 2012.

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