Six nouvelles chaînes sur la TNT en quête de recettes publicitaires

Le lancement, le « 12.12.12 » de six nouvelles chaînes de TNT a suscité de nombreux débats sur les choix politiques liés à un élargissement de l’offre de chaînes. Justifié pour certains, il fragilise au contraire l’ensemble du paysage audiovisuel français pour d’autres, les recettes publicitaires n’augmentant pas pour un nombre de chaînes qui ne cesse de s’élever. N’est-ce pas là la première étape qui conduira à un assouplissement de la réglementation de la publicité à la télévision pour répondre aux inquiétudes des chaînes historiques ?

Lancées le 12 décembre 2012 d’abord sur Paris, Marseille et Bordeaux, les six nouvelles chaînes de la TNT retenues à l’issue de l’appel d’offres organisé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en octobre 2011 (voir REM n°22-23, p.36), couvriront l’ensemble du territoire en 2014. L’offre de TNT sera donc pour tous de 25 chaînes au lieu des 19 disponibles jusqu’alors.

Reste que cet enrichissement de l’offre de chaînes en clair ne va pas sans poser de problèmes, au moins ouvre-t-il de nombreux débats. A vrai dire, les dirigeants des chaînes françaises aiment à s’opposer dans la presse pour obtenir du gouvernement ou du CSA des décisions qui leur seront, pensent-ils, favorables. Ainsi, ce sont TF1 et M6 qui, en s’opposant à l’arrivée du Groupe Canal+ sur la TNT en clair, ont milité pour la suppression des canaux compensatoires avant de demander de nouvelles fréquences après que le Groupe Canal+ se fut emparé de Direct 8 et Direct Star (voir REM n°21, p.79). Avec une offre de 25 chaînes en clair, il sera en effet plus difficile pour la nouvelle D8 de s’imposer comme une grande mini-généraliste, voire une future généraliste. Et, paradoxalement, ce sont les mêmes groupes, TF1 et M6, qui dénoncent aujourd’hui cet élargissement de l’offre, le marché publicitaire n’étant pas, selon eux, susceptible de financer encore six nouvelles chaînes. Ainsi, Nonce Paolini, dans un colloque NPA Conseil organisé le 6 novembre 2012, a rappelé les doutes de son groupe et tempéré les discours optimistes sur l’intérêt pour les téléspectateurs et les annonceurs d’un tel élargissement de l’offre : « Pendant que le bateau prend l’eau, l’orchestre joue. Je ne connais pas les audiences futures de ces chaînes que j’espère les meilleures possible. Ce dont je suis certain, c’est qu’elles vont perdre de l’argent pendant longtemps. Je ne suis pas sûr que cela soit un progrès industriel et économique ! »

L’expérience du lancement de nouvelles chaînes sur la TNT confirme en partie cette vision pessimiste, sauf à considérer les avantages d’une offre élargie à plus long terme, notamment comme un moyen de renforcer l’intérêt de la programmation linéaire face aux offres délinéarisées que la télévision connectée commence à proposer. Ainsi, selon le Bilan financier de l’année 2011 des chaînes nationales gratuites, publié par le CSA le 26 novembre 2012, les neuf nouvelles chaînes privées, identifiées dans l’étude comme un agrégat distinct (BFM TV, Direct 8, Gulli, i>Télé, NRJ 12, NT1, TMC, Direct Star et W9), cumulent depuis leur lancement 470 millions d’euros de pertes. Les seules à être à l’équilibre six ans après leur lancement sont W9, TMC, NT1, NR12 et i>Télé, lesquelles réalisent ensemble un résultat net de 4,6 millions d’euros en 2011. Les autres chaînes étant encore déficitaires, le résultat net de l’agrégat est en 2011 toujours négatif à – 9,3 millions d’euros. Autant dire que le marché publicitaire ne permet pas encore de financer dans de bonnes conditions les chaînes de la TNT lancées depuis 2005, même si la baisse des prix pratiquée sur ces nouveaux écrans a effectivement attiré de nouveaux annonceurs et insufflé un dynamisme au marché publicitaire TV qui lui a permis de résister à la concurrence d’Internet et à la crise publicitaire de 2009. Ainsi, en 2011, le chiffre d’affaires cumulé des nouvelles chaînes privées gratuites de la TNT (recettes publicitaires et diversification) atteint, selon le CSA, 535,2 millions d’euros en 2011, en augmentation de 19 % par rapport à 2010. Mais la hausse de ce chiffre d’affaires tend à ralentir : + 40 % en 2009, + 31 % en 2010.

C’est d’ailleurs cette hausse constante du chiffre d’affaires des nouvelles chaînes privées de la TNT qui a permis au marché publicitaire TV de se main- tenir aux alentours de 3,5 milliards d’euros nets par an entre 2006 et 2011. Il reste que 500 milliards d’euros sont dépensés sur les nouvelles chaînes de TNT, ce qui a obligé les groupes historiques à entreprendre de consolider le secteur. Le groupe M6 dispose désormais de trois chaînes en clair (M6, W9, 6Ter), le groupe TF1 atteint le seuil de sept fréquences TNT autorisées, avec quatre chaînes en clair (TF1, TMC, NT1, HD1), et le Groupe Canal+ dispose également de quatre chaînes sur la TNT (Canal+ pour les plages en clair, i>Télé, D8, D17). De ce point de vue, alors que les perspectives publicitaires du marché audiovisuel sont plutôt négatives, la question va se poser, pour financer les six nouvelles chaînes de la TNT, d’un allègement des contraintes en matière de diffusion de la publicité à la télévision. Pour le CSA, le fait d’avoir opté pour des chaînes à la programmation ciblée, donc plus thématiques que mini-généralistes, devrait toutefois permettre d’attirer de nouveaux annonceurs. Le CSA estime ainsi que chacune des nouvelles chaînes devrait s’arroger à terme 1 % du marché publicitaire TV.

L’équation économique sera donc difficile à résoudre. Avec des budgets annuels qui oscillent entre 40 millions d’euros (HD1, 6Ter) et 16 millions d’euros (RMC Découverte), ces six nouvelles chaînes représentent un besoin de financement de 200 millions d’euros supplémentaires dès 2011. Et ces besoins vont augmenter à mesure que la couverture du territoire va progresser puisque les coûts de diffusion sont estimés à 10 millions d’euros par chaîne et par an. Autant dire que plusieurs de ces six chaînes ne seront pas à l’équilibre dans les cinq prochaines années, certaines ayant toutefois des atouts. HD1 permettra à TF1 d’écouler ses stocks de programmes, des synergies qu’elle ou que le groupe n’a pas pu mettre en œuvre avec TMC et NT1 du fait des obligations spécifiques imposées par l’Autorité de la concurrence. HD1 devrait donc assez rapidement être bénéficiaire, comme l’a été W9 qui a profité des programmes de M6 depuis 2005. Et HD1 a pour elle d’être une chaîne de séries et de cinéma, avec quatre prime times de séries chaque semaine ce qui constitue, avec des séries américaines, un gage de rentabilité.

6Ter, parce qu’elle est opérée par le Groupe M6, devrait elle aussi bénéficier de son expertise et d’une programmation certes ciblée sur la famille, mais somme toute assez généraliste. L’Equipe TV et RMC Découverte, parce qu’elles proposent une programmation aujourd’hui inexistante sur la TNT, ont une place à prendre auprès de publics pour l’instant relativement délaissés par la télévision en clair, la cible masculine et CSP +. Chérie HD et Numéro 23 ont, elles, un positionnement plus difficile, notamment parce que la première vise la cible féminine, très sollicitée à la télévision (« la ménagère de moins de 50 ans »), et parce que la seconde est la seule à ne pas pouvoir s’appuyer sur un groupe de médias.

Sources :

  • « Les six nouvelles chaînes de la TNT sur la rampe de lancement », Fabienne Schmitt, Les Echos, 7 novembre 2012.
  • « Les six nouvelles chaînes gratuites de la TNT entrent dans l’arène », Paule Gonzalès, Le Figaro, 16 novembre 2012.
  • « Six nouvelles chaînes de la TNT lancées sur fond de publicité morose », Marie de Vergès, Le Monde, 18 novembre 2012
  • Bilan financier de l’année 2011 des chaînes nationales gratuites, CSA, 26 novembre 2012, 8 pages.
  • « Les chaînes de la TNT sortent à peine la tête de l’eau », Paule Gonzalès, Le Figaro, 29 novembre 2012.
  • « La difficile équation économique des six nouvelles chaînes de la TNT », Fabienne Schmitt, Les Echos, 10 décembre 2012.
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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