La Toile mondiale est sous-marine

99 % des communications mondiales passent par 900 000 km de câbles en fibre optique qui relient les continents, les villes côtières (Barcelone-Gênes, New York-Miami), les îles peuplées, ainsi que les plates-formes pétrolières. Installé dans le port de Calais, Alcatel-Lucent Submarine Networks, leader mondial avec 40 % du marché, fabrique et dépose ces tuyaux au fond des mers.

Aujourd’hui, les communications intercontinentales – des conversations téléphoniques, échanges de courriels et de fichiers, aux vidéos sur YouTube et Facebook – transitent par plus de 340 réseaux câblés sous-marins. Derrière ces usages quotidiens d’une extrême simplicité pour plus de trois milliards d’internautes dans le monde, il existe un marché de niche, mais hautement stratégique, que se partagent essentiellement trois entreprises – Alcatel-Lucent Submarine Networks (ASN), filiale du franco-américaingroupe Alcatel-Lucent récemment repris par le finlandais Nokia (voir La REM n°34-35, p.33), le japonais NEC et le suisso-américain TE Connectivity.

Leur chiffre d’affaires global oscille entre 1 et 3 milliards d’euros par an. Leurs clients sont les opérateurs de télécommunications, regroupés en consortium et, plus récemment, les géants internet. Entre 2016 et 2017, elles ne déploieront pas moins de 35 nouveaux câbles sous-marins.

Sur une superficie de 16 hectares et avec un effectif de 410 personnes, l’usine ASN de Calais fabrique la majeure partie des câbles de télécommunications qui entourent la planète. En 2015, elle a produit plus de 20 000 kilomètres de câbles et elle prend également en charge le recyclage des anciens câbles. Ces tuyaux qui ne font pas plus de 2 centimètres de diamètre contiennent jusqu’à 96 fibres optiques, de 0,2 millimètre chacune, entourées par une superposition de couches de différents matériaux, notamment du cuivre pour la conduction d’électricité, de l’aluminium et de l’acier.

Une gaine extérieure en polyéthylène (matière plastique ultra-résistante) protège l’ensemble contre les risques de détérioration divers, surtout lorsque la hauteur de fond est réduite : ancrage, pêche, sabotage et même morsures de requins. Equipés de répéteurs électriques tous les 70 kilomètres pour maintenir l’intensité du signal optique, les câbles ont une durée de vie d’environ vingt-cinq ans. Immergés depuis plus de quinze ans, la plupart des câbles sous-marins (une douzaine) reliant le continent américain à l’Europe devront être remplacés.

Avec sa cargaison de 5 000 tonnes, que pèsent les 5 300 kilomètres de câble enroulés dans deux cuves dont le chargement aura nécessité trois semaines, l’Ile-de-Sein, l’un des sept navires-câbliers appartenant à ANS, a mis le cap sur le Sri Lanka, à la mi-décembre 2015, pour dérouler, entre Colombo et Djibouti, une partie des 20 000 kilomètres de fibre optique d’un réseau baptisé SeaMeWe5.

Commandé par un consortium de dix-sept opérateurs télécoms européens et asiatiques, ce réseau permettra, à terme, de relier Toulon à Singapour, en passant par l’Italie, la Turquie, les Emirats arabes unis, le Pakistan, l’Inde, le Bangladesh et la Birmanie. Guidé par une étude préalable des fonds marins, l’Ile-de-Sein déposera directement le câble si la profondeur dépasse 1 500 mètres. Sinon, il utilisera une « charrue » de 35 tonnes, pilotée à distance, afin de creuser une tranchée qui accueillera le câble. Ainsi, selon la méthode employée, le navire-câblier parcourra entre 20 et 150 kilomètres par jour.

De plus en plus souvent, les groupes internet s’associent aux opérateurs de télécommunications locaux pour construire des réseaux. Google a déjà cofinancé plusieurs réseaux en direction de l’Asie, dont Faster qui reliera la côte ouest des Etats-Unis au Japon et à Taïwan en 2016. Microsoft s’est associé à New Cross pour relier les Etats-Unis au Japon, à la Corée du Sud et à la Chine. Facebook a investi dans Asia Pacific Gateway pour la Malaisie, Singapour, la Chine, la Corée du Sud et le Japon. En Europe également, la construction de réseaux câblés sous-marins répond notamment aux besoins des géants de l’internet.

Depuis 2015, Hibernia Express et AEConnect relient les Etats-Unis à l’Irlande, pays d’accueil de leurs filiales européennes. Microsoft et Google participent aussi à des projets connectant Amérique latine et Etats-Unis. Avec le soutien de l’Union européenne, le gouvernement brésilien, qui n’a pas oublié que la NSA (National Security Agency) peut installer des mouchards dans les stations de raccordement terrestres, développe EulaLink, une liaison directe avec l’Europe, via le Portugal, pour 2018. Mais aujourd’hui des sous-marins sont capables d’intercepter les informations qui transitent par les câbles au fond des mers…

Chaque année, le trafic internet entre les Etats-Unis et le reste du monde grossit de près de 40 %, selon Philippe Dumont, président d’ASN, alors que le trafic mondial n’augmente que de 20 % à 25 %.

L’avenir de la fibre optique est décidément lié à la profondeur des océans. Un chercheur de l’université de Mayence, Werner Müller, vient d’annoncer être parvenu à synthétiser des fils de silice, conducteurs de lumière, à partir de la silicatéine, une enzymeutilisée par l’une des 10 000 espèces d’éponges de mer connues, baptisée « éponge de verre » et vivant dans les fonds antarctiques.

Sources :

  • « Haut débit en eau profonde », Yves Eudes, Le Monde16 décembre 2015.
  • « Câbles sous-marins : une toile mondiale toujours plus dense », Yves Eudes, Le Monde, 6 janvier 2016. 
  • « 20 000 fibres sous les mers », Romain Gueugneau, Les Echos, 14 janvier 2016. 

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